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Association CAMIN FERRAT

LA CAMP

Un circuit de découverte de la pierre sèche caussenarde crée par

l'association Camin Ferrat

 

Un paysage lithique remarquable, le site de LA CAMP sur le petit causse gardois de Campestre.

 

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A partir du XVIII° siècle la pression démographique amène la population à occuper toutes parcelles de terre un tant soit peu utilisable. C'est l'époque où les terrasses de culture (traversiers, bancels) partent à l'assaut des contreforts cévenols. Sur le causse de minuscules parcelles closes de murets sont vouées au seigle, au pois chiche et au ers (une vesce, Vicia ervilia).

La consultation d'une photographie aérienne du site de La Camp, prise vers 1980, à l'occasion de la création de la carte IGN au 1/25 000 de la région, nous montre un étonnant parcellaire d'une centaine de lopins clos de murs encore visibles à cette date.

En 1808, cette friche incultivable, va être confié à 94 chefs de famille, paysans sans terre. Pour une durée de quatre ans chacun reçoit une surface de 20 ares (2000 m2 !) de cailloux et de ronces à mettre en valeur. "Par sa position en plaine, ce terrain peut être défriché sans inconvénient... Cet usage immémorial offrait le double avantage d'alimenter les habitants et de bonifier les terres... D'excellentes pâtures à l'expiation des quatre années." Déclare le sous-préfet de l'époque qui certainement ne s'aventura jamais jusqu'à Campestre.

Le toponyme de La Camp pourrait signifier "lieu stérile", de Lacam, Lacalm, Lachamp. De l'ancien occitan Calm, du gaulois Calmis : "lande, plateau rocheux sur une montagne".

Sur le site nous sommes d'abord frappé par l'énorme masse de pierres que l'homme a manipulée. C'est le témoignage d'une exploitation de sols extrêmement médiocres à des périodes de forte densité de population entraînant une occupation maximale des terroirs. Le lieu nous intéresse pour sa remarquable concentration de cabanes à pierre sèche. Cette architecture de pierre sèche est l'identité sociale et culturelle du Causse en plus d'en être l'environnement écologique.

Ces cabanes appelées cazelles ou casèlas (1), ainsi que sur le Larzac, s'inscrivent dans un paysage rural construit, structuré par une multitude  d'aménagements fonctionnels en pierre crue (c'est-à-dire brute, non taillée, utilisée telle que tirée du sol à l'occasion des activités agricoles) : murs d'enclos pour les ovins (devès)  ou de protection des cultures (clausal), murs appeaux, de soutènement, encadrement de voies de cheminement, tertre de signalisation ou de bornage, dômes d'épierrement plus ou moins bâtis, et tas de pierres (clapassès) s'étirant à l'infini. Les constructeurs en sont les défricheurs et les bergers qui occupèrent le lieu depuis le début du XIX° siècle. Ces cabanes ne sont rien d'autre que des dépendances plus ou moins éloignées de la ferme, utilisées de façon occasionnelle, temporaire ou saisonnière, servant d’abris pour les hommes et les bêtes mais aussi de resserre pour les outils et les semences.

Elles sont constituées de blocs de toutes formes qui dénotent de réelles qualités dans cet art de bâtir en pierre crue... Mais quelquefois la technique manque et le temps fait son oeuvre secondé par un matériau peu adéquat.

Concernant les cabanes du causse de Campestre il semble qu’aucune ne figure sur un acte notarié.

Datées d'après les tessons de poterie par Mme Adrienne Durand-Tullou, aucune des cabanes qui existent encore sur le causse, ne fut occupée avant le XIX° siècle.

 

Sur le causse de Campestre existe d’importantes surfaces constituant les biens sectionnaux (appelés improprement communaux) (2). En 1829 lorsqu’il est envisagé de les supprimer, le projet soulève une protestation de la majeure partie de la population qui, réduit à la misère, serait obligé de quitter le pays. Le site de LA CAMP est un de ces sectionnaux.

 

Les éléments remarquables du site

 

Cazelle à couloir n° 2 de La Camp (3) (Propriétaire actuelle : Mme. Escamp Simone, épouse Causse) connue aussi sous le nom de "cazelle de Candet"

Avant qu’il ne soit ruiné, nous avions ici le plus bel exemple de bergerie à usage temporaire.

Cet abri d’éleveur, construit au début du siècle a été exécuté par un nommé Fulcrand HEBRARD (1852-1922), essartier de profession, possesseur d’un troupeau de 40 ovins. Cet abri est réputé avoir été construit en partie de nuit, à la lueur de la lune, pour ne pas perdre de temps et éviter les grosses chaleurs de la journée. Un essartier était un travailleur agricole sans terre à qui on donnait des terres incultes à défricher, par arrachage et brûlis des broussailles, pour permettre une culture temporaire. C’était la classe sociale la plus défavorisée, totalement soumise à celle des possédants.

Les pierres qui s’effritent sous l’action conjuguée du gel et du soleil sont responsables de l’état actuel de cette construction. Dans le cas présent, le vandalisme est peu probable. Cette cazelle était encore en excellent état jusqu'en 1986.

Au sommet du mur, une cavité permettait le drainage de l’eau de pluie pour les bêtes ou le jardin.

La voûte encorbellée qui permettait l'entrée est en forme d’ogive très régulière et un long couloir couvert, aujourd’hui effondré, exceptionnel dans la région, précédait la loge.

Le fond servait d’abri à Fulcrand, la partie avant recevait le troupeau par temps très froid pour la nuit. Un enclos jouxtait la cazelle.

 

Un autre vestige d'une petite cabane de plan circulaire «pour les outils», mais plus ancienne, se tiend à 30 m, près de la route, en direction de le cazelle suivante.

 

Cazelle à couloir n° 1 de La Camp

Située sur des terrains sectionnaux, comme l’ensemble des édifices suivants, elle a été exécutée par le même Fulcrand HEBRARD mais pour le compte d’un voisin.

Les dalles de la voûte sont remarquables par leur dimension, l'entrée en ogive est surmontée d’une grande dalle mince (brisée par le gel en 2004). Le couloir à ciel ouvert pouvait abriter 15 ovins.

(Autre cazelle du même bâtisseur au lieu-dit «Broussandal» proche de Campestre en direction du Sud Est.)

 

La cazelle multicellulaire n° 3 est un abri de trois belles loges dont l’entrée est malheureusement écroulée.

 

Deux autres cazelles remarquables du site sont constituées d'une petite loge insérée dans un grand pierrier qui leur procurent une grande fraîcheur en été. De nombreuses petites cabanes, en partie ruinées dans la plupart des cas, sont éparpillées sur le site. Une  originale petite cabane de section carrée a été construite dans les années 50 par le berger de l'époque Robert Valette. La recherche et la découverte de ces cabanes au gré de la promenade constitue un des attraits du site. La vue sur le paysage caussenard et les hameaux en est un autre.

 

Les murs :

Ce sont des murs de protection de parcelles cultivées (clausal – enclos), de parquement du bétail (devès qui signifie pâturage interdit) ou de limitation de chemin. La tentative de construction de murs de parcelle sur des terres communales (où nous sommes) est relativement récente (milieu du XVIII- début du XIX) et s’opposait au maintien de la jouissance en indivis de ces terres communes. Ce type de mur s’est ensuite généralisé dans la deuxième moitié du XIX siècle.

 

Les clapassès (pluriel de clapàs = amas de pierres)

Nous avons d'innombrables tas d’épierrement jetés en vrac, presque toujours déposés sur un affleurement rocheux. C'est l'élément paysager caractéristique du Causse de Campestre.

Pour les murs d’épierrement véritablement bâtis, on construisait au préalable un mur circulaire puis les femmes remplissaient la structure pour épierrer le champ ou la pâture. Un deuxième mur peut venir compléter en façade les murs déjà existants pour éviter la difficulté de déposer les pierres en hauteur. Le nouveau mur s'enroule alors autour du précédent en une énigmatique spirale.

Pour les clapassès dit murs-appeaux, on déposait un perdreau dressé dans le creux du clapàs, d’autres perdreaux ne tardaient pas à s’y poser. Le chasseur ou le braconnier était dissimulé aux alentours.

Dans un vaste clapàs parsemé d’effondrements, on découvre une fosse au fond dallé, bâtie en forme de "L", de modeste dimension, qui évoque un coffre funéraire. La destination exacte reste mystérieuse. Ce clapàs donne l'impression, par la qualité de ses pierres et la surface occupée, d'être antérieur au défrichage du site de 1808.

 

La tour de berger (tornèla)

C'est un petit cylindre plein exécuté par un berger originaire du village du Salze qui travaillait pour des exploitants résidant à Homs (le sieur Viala) et aux Magettes (le sieur Valette) dans le premier tiers du siècle. Cette tourelle a été construite pour passer le temps et démontrer son habileté (avec peut être aussi un but de repérage et de bornage à en juger par sa position sur une crête). Situé au-delà de la ferme des Magettes, c'est le seul exemple connu sur le causse de Campestre. Sa hauteur est de 3,50 m.

 

Les lavagnes

Lavagne est la prononciation locale du terme générique caussenard de lavogne. Typique des paysages pastoraux des Causses, la lavagne est une mare, vaste cuvette creusée dans un endroit argileux destinée à étancher la soif des ovins et autre bétail.

Nous avons là un bel exemple de lavagne dallée sur une base de béton. De grande dimension cette lavagne communale est victime du vandalisme. L’emploi du béton apparaît dès 1860 sur les lavognes.

Entre 1864 et 1891 le conseil municipal de Campestre décide la construction de mares sur la commune. Absente du relevé cadastral de 1829, cette mare date sans doute de cette période. La lavagne de La Camp fut ensuite restaurée par décision du conseil municipal le 20 août 1893.

A quelques centaine de mètres, une lavagne close au fond argileux près des Magettes est ceinte d’un mur couronné de pierres en «demoiselles». Le muret empêchait les brebis des pâtures alentours de s’abreuver, l’eau étant un bien rare sur les plateaux calcaires. On peut aussi imaginer un tour de droit à l'accès à l'eau sur le système, pratiqué ailleurs pour l'arrosage, des béals. Deux entrées se faisaient face dont une a été murée. Les passages étaient souvent clos d’un simple buisson épineux, le tronc faisant office de manche pour retirer l’obstacle.

 

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Les premières visites accompagnées et commentées du site de La Camp ont été organisées par l'association Camin Ferrat pour les journées du patrimoine de pays en juin 2001.

Trois ans d'intervention auprès du conseil municipal n'ont pas réussi à faire reconnaître ce patrimoine vernaculaire par "les gens nés ici". Le Maire de Campestre-et-Luc refusa de prendre en compte la demande d'un arrêté de préservation du patrimoine à pierre sèche du causse, et un adjoint participa indirectement à la destruction complète d'un enclos pastoral (mur à deux parements d'une hauteur de 1,50 m) sur le site pour la récupération des pierres pour du remblai, alors même que le projet de sentier de découverte était accepté par le conseil général et avait été débattu en conseil municipal.                                  

À l'instigation de l'association Camin Ferrat, association locale de sauvegarde du patrimoine bâti et naturel, ce site fait actuellement l'objet d'un plan patrimoine-emploi. Le sentier de découverte de la pierre sèche et du paysage agropastoral caussenard de La Camp sera la première réalisation d'un ensemble de sentiers d'interprétation piloté par le département du Gard.

Les projets de restauration et leur financement ont été acceptés par la communauté de communes du Vigan et le conseil général du Gard. Dans un futur non encore précisé, un sentier balisé devrait donc permettre à tous d'apprécier et de comprendre l'intérêt d'un tel site. Les cazelles 1, 2 et 3 subiront une restauration ainsi que la lavagne dallée. En attendant des visites accompagnées peuvent être organisées, sur demande, par l'association Camin Ferrat.

 

Ces vestiges lithiques, marques d'un paysage habité, restituent le témoignage historique de phénomènes économiques et sociaux encore très proches de nous. Allons-nous nous résoudre à voir disparaître à jamais ces fragiles témoins ? Nous nous devons de préserver le patrimoine des générations suivantes.

 

Notes :

(1) Le mot Cazal désignant des maisons ruinées est peut être lié à nos cabanes.  cazals = maisons ruinées. Cazelle vient du latin «casa» et signifie petite maison. En occitan : casèlas.

L'appellation d'oustalet employée par Adrienne Durand-Tullou, est une importation directe du Causse de Blandas et n'est pas utilisée sur le Causse de Campestre. Il faut aussi faire la différence entre les différentes appellations locales des cabanes (capitelle, borie...) et les termes qui identifient leur utilisation (jasse pour bergerie, granjoun pour grenier, orri pour les réserves à fromage en Ariège...).

(2) communaux = propriétés en indivis des habitants de la commune.

sectionnaux = propriétés en indivis des habitants de chaque hameau.

Pour en savoir plus sur les sections communales : www.section-commune.org

(3) Pour les plans et dimensions, voir bulletin du CERAV tome IV-1980, ou "caselles et pierre sèche" de André Fages (Los Adralhans, 2000).

 

 

Sources et bibliographie :

Adrienne Durand-Tullou, Constructions à pierre sèche des causses de Blandas et Campestre, bulletin du CERAV  1980 tome IV.

- André Fages, Caselles et pierre sèche, Los Adralhans, 2000.

- R. Martin & B. Fadat, les capitelles des garrigues gardoises, Editions Le temps retrouvé-Equinoxe, 1992.

- André Lacroix, Pierre Solassol, dans la revue du Club Cévenol "Causses & Cévennes",  respectivement 2/1995 et 3/1999.

- Entretiens et  recherches de andré Pizio, président de l'association Camin Ferrat.

Ce texte est paru dans "Patrimoine 30" la revue de A.S.P.A.H.G. en juillet 2004.

Photographies de Pierre Valette et André Pizio


"A la mémoire des bâtisseurs à pierre sèche de tous les temps"

"Il faut à tout prix arrêter la destruction. Des associations se sont formées afin d'étudier, inventorier, sauvegarder ce patrimoine. Tâche ardue et passionnante que celle de leurs membres ! Pour parvenir à sensibiliser le grand public, le meilleur moyen réside dans la diffusion d'ouvrages attrayants et d'images fortes. Encore faut-il en avoir les capacités nécessaires... Que ces deux défenseurs de la pierre sèche trouvent ici l'expression de notre chaleureuse gratitude." Adrienne Durand-Tullou. En préface de l'ouvrage de Bruno Fadat et Raymond Martin.


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